Vingt ans déjà et un bilan à faire pâlir de jalousie : 430 millions d’euros mobilisés, 3412 lauréats, 1914 entreprises de technologies innovantes créées, 25 entreprises cotées, dont Cellectis, laboratoire biopharmaceutique, présent à la fois sur Euronext et au Nasdaq. Alors que les concours de start-up essaiment sur le territoire français depuis quelques années, I-Lab, lancé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en 1999, nous rappelle que l’État alloue aussi des fonds pour soutenir les chercheurs dans leur démarche d’entrepreneuriat. Cette année encore, 64 lauréats ont été distingués dont 14 Grands Prix. Né de la volonté du ministère d’encourager l’esprit d’entreprendre des chercheurs, le concours i-Lab est de fait un véritable fonds d’amorçage public dédié aux technologies de rupture, la Deep Tech. Energie, Santé, gestion sobre des ressources, sécurité alimentaire, mobilité, spatial : les projets des 14 Grands Prix s’inscrivent dans l’un des 10 grands défis sociétaux définis par l’agenda stratégique France-Europe 2020. Mais i-Lab, c’est non seulement le concours mais c’est aussi le prix Pépite, Tremplin pour l’Entrepreneuriat Etudiant qui favorise la création d’entreprises innovantes par les étudiants et jeunes diplômés. Avec une nouvelle enveloppe de 14 millions d’euros allouée encore cette année – portant la dotation totale à près d’un demi-milliard ! -, I-Lab est un succès : deux tiers de ces sociétés sont encore actives, bien au-delà de la moyenne, située à environ 50% de faillite au bout de six ans.
Pour soutenir cette tendance positive, la Ministre Frédérique Vidal annonce dans ce Live du FlashTweet un doublement à venir de l’enveloppe. Pour allouer ces fonds, alors que le jury – présidé cette année par Ludovic Le Moan, cofondateur et CEO de Sigfox – est très exigeant, il faudra bien tabler sur une augmentation des dossiers de candidatures. Peut-être est-ce qu’un vivier est à trouver du côté des femmes entrepreneurs, quand on sait que leur part a progressé de 5 à 20% de 2017 à 2018 ? Si le ministère renforce son dispositif, c’est bien parce qu’il est un dénicheur de pépites et un accélérateur de croissance.
Sigfox, l’un des leaders mondiaux de la connectivité pour les objets, a justement remporté un prix I-Lab en 2010. Ces fonds lui ont permis d’éprouver son produit, de passer à l’échelle et de réussir à toucher des investisseurs. Dès l’année d’après déjà, la société lève 2 millions de dollars, puis enchaîne sur un tour de table de 10 millions la suivante, pour réunir au total 277 millions de dollars. Lever autant de fonds, Ludovic Le Moan sait bien que c’est compliqué pour une start-up française, c’est pourquoi il décide de parrainer aujourd’hui certaines d’entre elles. Pierre de Fouquet, managing partner et cofondateur du fonds Iris Capital, considère lui aussi que le prix I-Lab est un élément positif, que regardent les investisseurs pour prendre leur décision. Même s’il n’est évidemment pas suffisant. Son rôle, c’est davantage de contribuer à ce que les chercheurs se mettent à entreprendre, pour transformer leurs découvertes en réalités industrielles et en opportunités commerciales. Et en cas d’échec, de recommencer.
Retour sur un Live exclusif le jeudi 5 juillet 2018 à la Cité des sciences et de l’industrie, réalisé suite à la la cérémonie de remise des prix du 20e Concours national d’aide à la création d’entreprises de technologies, I-Lab avec Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Ludovic Le Moan, CEO et cofondateur de Sigfox, et Pierre de Fouquet, managing partner et cofondateur d’Iris Capital. C’est parti pour les enjeux autour de ce concours, sur son évolution ainsi que sur son impact
Emmanuelle Leneuf : Bonsoir, je suis ravie de vous retrouver ici. On est à la fin de la cérémonie de remise de prix du concours I-Lab. Je suis avec la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Ludovic Le Moan est là aussi, c’est le patron de Sigfox. On va parler d’innovation et d’I-Lab. C’est un live exceptionnel. Ce qui est important, c’est qu’on explique ce qu’est ce concours I-Lab est quel est son bilan. Il a été créé il y a 20 ans pour récompenser les entreprises très innovantes, parce qu’on parle de deep tech. Il y a eu 64 lauréats qui vont toucher une subvention comprise entre 200 et 400 000 euros. Madame la Ministre, pourquoi ce concours a été créé, et quel est son bilan ?
Frédérique Vidal : Bonsoir à tous. Ce concours a été créé il y a vingt ans. Il a été pensé pour aider à la création d’entreprises issues de laboratoires de recherche, de R&D, ou d’idées portées par des étudiants. C’est évidemment un très grand plaisir pour moi d’être là ce soir. Depuis sa création, c’est plus de 1 900 entreprises qui ont été créées grâce au concours I-Lab, dont plusieurs avec un très très beau succès. C’est un très bon taux de croissance de ces entreprises. C’est le coup de pouce nécessaire pour démarrer quand quand on a une idée et qu’on veut passer de l’idée à un marché.
EL : Et le bilan est plutôt positif ! Deux tiers de ces entreprises sont encore actives, alors que 50% des entreprises ne survivent pas la sixième année et 25% décèdent au bout de deux ans.
FV : Ce n’est pas non plus un drame, on apprend beaucoup de l’échec, il ne faut pas stigmatiser ceux qui ont échoué. Mais là, effectivement, c’est un concours de très haut niveau avec une très forte sélection. Je suis ravie que la très grande majorité des sociétés créées grâce à I-Lab aient pu grandir et prospérer.
EL : Fait marquant cette année, 20% de femmes ont été récompensées, c’est une progression énorme car elles étaient 5% l’an dernier. Il y a encore du chemin à parcourir, mais c’est assez positif. Plus globalement, il n’y a pas assez de dossiers qui arrivent. Et il y a peut-être un appel à lancer à tous les chercheurs entrepreneurs qui ne savent pas que I-Lab existe, qu’ils doivent candidater par Bpifrance. Est-ce qu’il y a un message à leur faire passer pour qu’il y ait plus de candidats ?
FV : Oui, bien sûr, c’est très important. Ce concours est maintenant connu mais le bouche à oreille est toujours très important pour attirer de nouveaux candidats, et attirer les jeunes femmes, bien sûr, car elles n’ont été que 20% cette année, on souhaite qu’elles soient plus nombreuses. Mais ça veut dire aussi qu’il faut attirer les jeunes femmes dans les disciplines scientifiques et technologiques. Il faut changer aussi je crois la représentation que les femmes ont encore des sciences et de la technologie. Et puis la représentation que les sciences et technologies ont sur les femmes.
EL : L’enveloppe globale du concours par an, c’est 14 millions d’euros, soit 434 millions depuis 20 ans, c’est bien cela ?
FV : Oui, c’est 13 à 14 millions par an. Et nous allons doubler cette enveloppe car c’est un concours qui a fait ses preuves et il est important de le soutenir. Mais ça veut dire qu’il faut augmenter le nombre de candidatures, aller peut-être plus motiver les gens pour ces candidatures, s’appuyer sur les dispositifs Pépite, qui aident les étudiants à devenir entrepreneurs. Je crois que c’est très important qu’on sache, et les jeunes le savent de plus en plus, qu’aujourd’hui, après ses études, on peut aussi décider de se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat. C’est un état d’esprit, c’est avoir envie, ne pas avoir peur d’échouer, et ne pas avoir peur de recommencer.
EL : Le gouvernement, avec la loi Pacte, permet aussi à ces jeunes chercheurs entrepreneurs de faire des allers et retours entre le public et le privé, quels sont les verrous que vous avez fait sauter ?
FV : Lorsque que le Président a choisi de nous confier, avec Bruno Le Maire, le Fonds pour l’innovation de rupture, et lorsque nous avons travaillé au projet de loi de Croissance et de transformation des entreprises, l’idée était justement, pour permettre à certaines technologies Deep Tech inventées dans les laboratoires de Recherche, de trouver leur marché et finalement d’arriver au service de la société, faciliter encore plus que ça ne l’est en ce moment la possibilité d’avoir des allers et retours entre les carrières publiques et les carrières privées. Il y a des gens qui font de la recherche et ne sont pas tentés par l’entrepreneuriat, et inversement, mais pas forcément pour toujours. L’idée, c’est vraiment de rendre les choses simples et fluides, et que chacun puisse faire ce dont il a envie sans que ça impacte sur les carrières académiques, où un certain nombre de choses, qui rendaient parfois la décision de faire le pas compliquée pour certains chercheurs.
EL : Ludovic Le Moan, vous êtes le président du jury et vous êtes aussi un lauréat I-Lab. Quel est votre retour d’expérience. Qu’est-ce que ça vous a apporté d’être lauréat I-Lab ? Et quelle est votre vision sur la promotion de cette année ?
Ludovic Le Moan : Tout d’abord, quand Sigfox a eu son label I-Lab, je n’avais pas encore rencontré Christophe Fourtet. Ce qu’a permis I-Lab, c’est de montrer qu’il y avait une pépite. Quand j’ai rencontré Christophe Fourtet ensuite, je lui ai dit : si ce que tu me montres est vrai, on va changer le monde. On s’est associées en 2011 pour faire ce que Sigfox est aujourd’hui : on a une conquête mondiale, on touche bientôt 1 milliard de personnes. Quelque part ça l’a aidé à défricher sa technologie pendant quelques années. Il y a plein de technologies intéressantes dans les domaines de la santé, des matériaux… Il y a des pépites dans tous les labos, il faut qu’on soit plus nombreux à parrainer ces potentiels-là. Il faut qu’une entreprise se confronte au marché très vite. Il faut très vite essayer de voir grand. Dans une entreprise, il y a quelques priorités : d’abord, la survie. Ensuite, il faut apprendre à un entrepreneur à avoir une vision, de travailler priorité par priorité, ce n’est pas naturel. Prendre en compte trop de paramètres, c’est un cas d’échec assez répandu.
EL : Vous allez parrainer une start-up qui s’appelle Moïz. Est-ce qu’on va dans la bonne direction avec le parrainage ?
LLM : Le parrainage est né dans des échanges qu’on a eu quand on m’a proposé d’être président du jury de cette 20e édition. L’idée m’est venue et cela a été approuvé par le ministère de mettre en place cette notion de parrainage parce que pour moi c’est fondamental. On ne peut pas être que dans l’instant. On a remis ce soir les prix à ces candidats, mais la vie ne s’arrête pas là. Ils ont besoin de se faire connaître, il faut les accompagner en RH, en communication, il faut qu’on progresse là-dessus. C’est un très beau label avec une dotation extraordinaire, on n’a pas souvent de concours avec tant de dotation. C’est pour ça qu’il faut être très sérieux dans le traitement des dossiers. Il faut cependant ensuite qu’on les accompagne, en financement, pendant les premières années, les tours A, B, C… comment on va chercher les centaines de millions. C’est là que je peux apporter mon expérience, c’est comment on passer ces étapes-là. Lever des centaines de millions quand on est français, c’est très compliqué. Là on a un bon terreau, on est dans l’amorçage, maintenant, il faut qu’on travaille les structures, dont BPI. On doit faire des leaders mondiaux. On doit ramener le barycentre du digital vers l’Europe, puisqu’il y a la Chine et les États-Unis qui sont très puissants. Il faut prendre conscience que les grands groupes et les start-up doivent travailler ensemble, donc il y a de la traduction à faire. C’est ça aussi le parrainage, c’est apprendre à ces mondes à se parler et à se comprendre.
EL : Dans la promotion de cette année, qu’est-ce qui vous a le plus frappé ?
LLM : Dans chaque thématique : science de la vie, matériaux, etc. Dans des domaines qu’on palpe car quand on parle de protéines pour soigner le cancer ou détecter les maladies rares, ça parle, mais j’ai vu que si on menait ces technologies-là des labos, au marché, ça aurait beaucoup de succès. le frittage et l’impression 3D, c’est la même chose. Il y a plein de choses qu’on sent. On essaie de faire un gros effort pour mettre les lauréats en perspective. On espère que demain ils auront tous des entreprises qui vaudront des millions de dollars. L’espoir est là mais surtout il faut la folie, c’est ça.
EL : Madame la Ministre, comment on fait pour créer un écosystème où les chercheurs et les entrepreneurs se retrouvent ? Et comment on fait pour créer les duos qui vont pouvoir créer les licornes de demain ?
FV : Je suis convaincue que tout passe par les rencontres, donc il faut que les chercheurs, les entrepreneurs, les jeunes, les plus âgés, se croisent, discutent, vivent sur un mème campus. C’est tout le sens des campus de l’Innovation qui font qu’on peut avoir commencé ses études, croiser un entrepreneur, utiliser les mêmes plateformes technologiques pour les travaux pratiques et avoir des ingénieurs qui travaillent dessus ensuite, construire cette double culture qui fait qu’après on n’a pas de problème à se parler.
EL : Pierre de Fouquet nous a rejoint. Il est cofonfateur d’Iris Capital et il a investi dans une entreprise I-Lab. Pour vous, est-ce un label qui vous donne envie d’investir ?
Pierre de Fouquet : C’est un gage de sérieux. Les sociétés ou les projets, quand ils sont encore à un stade anté-création de la société, dont devoir montrer à un jury leur démarche, pourquoi la proposition de valeur est opératoire. Donc pour nous, c’est, je dirais, un élément positif. Ce n’est évidemment pas, et très largement suffisant. Mais c’est un premier signe important qui donne envie de regarder.
EL : Selon vous, qu’est-ce qu’il faut faire pour motiver les chercheurs et créer ces relations ? Vous avez un historique, vous vous êtes intéressé à une entreprise lauréate cette année, que faut-il faire pour créer cette relation ?
PDF : Nous avons investi dans des sociétés de générations anciennes, et « spinoffé » des laboratoires de Polytechnique il y a plusieurs années de ça et qui ont fait de longues carrières. La problématique des chercheurs est le fait de passer au business. C’est un enjeu qui est de nature culturelle car les chercheurs, en général, ne sont pas exposés à cette problématique – encore que, ils ont souvent à aller chercher des capitaux pour financer la recherche. Mais ce n’est pas naturellement le cas. Je cite souvent l’exemple de Termium, qui est un centre de recherche très célèbre en Israël où il y a une chaire qui explique comment on passe d’une idée à un déploiement en entreprise et quelle est la démarche d’un entrepreneur. Je pense qu’il y a une partie d’éducation. D’ailleurs Stéphane Malla, après avoir vendu sa société, a donné des cours d’entrepreneurship à Polytechnique, ce qui pour quelqu’un de connu plutôt comme un informaticien était une démarche plutôt interessante. Je pense qu’il doit y avoir un travail d’éducation au sein des unités de recherche et d’enseignement supérieur.
EL : Merci beaucoup Madame la Ministre. J’espère que vous avez tous apprécié ce Live. N’oubliez pas de partager ! Je vous donne rendez-vous au FlashTweet demain matin. Et #SpreadTheNews
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