Ils ne font plus qu’un. Physique et digital ont fusionné pour donner naissance à un monde juste phygital. Tel est le thème du 40e Idate DigiWorld Summit, organisé pour la première fois à Paris. Quelles sont les technologies à surveiller ? Quel rôle va jouer la 5G ? Quelle place pour l’Idate DigiWorld, think tank européen qui se tourne vers l’Afrique et l’international ? Pour répondre à ces sujets, rencontre avec Jacques Moulin, directeur général de l’Idate, à la manoeuvre pour organiser le DigiWorld Summit, l’opus annuel du think tank, qui a fait salle comble.
Pour sa 40e édition, l’Idate DigiWorld, qui aspire à devenir le think tank référent sur le digital, a mis les petits plats dans les grands. Rendez-vous était donné pour la première fois à Paris, à la Maison de la Mutualité devant un parterre de plus de 800 invités. On stage, la crème des patrons du digital avec une tête d’affiche richement fournie : Wassim Chourbaji, senior vice-président de Qualcomm, Fabrice Bregier, ex-Airbus, président France de Palantir, Marc Fontaine, digital transformation officer d’Airbus, Jean-Philippe Desbiolles, vice-président d’IBM Watson France ou encore Vincent Pang, président de Huawei Europe de l’Ouest. Et c’est depuis Paris, et cette Maison de la Mutualité un des hauts lieux de la vie sociale, politique et culturelle de la capitale que l’Idate a choisi de tirer la sonnette d’alarme sur la nécessité, en France et en Europe, de rattraper ce qu’il qualifie de « retard grave sur la 5G ». Selon le think tank, l’UE devrait investir 50 milliards d’euros par an – en plus ! – pour faire jeu égal avec les États-Unis.
Le rupture 5G
Quel rapport avec le phygital, grand thème du 40e Summit ? Comme l’explique bien Jacques Moulin, directeur général de l’Idate DigiWorld [FlashInterview complète ci-dessous], « la 5G n’est pas juste une continuité linéaire la 4G. Elle va provoquer une vraie révolution qui va permettre de revisiter des paradigmes de l’industrie ». Faible latence, connectivité permanente, haute disponibilité, débits accrus, maillage territorial avec une précision de 100 mètres… Tout cela n’est pas pour demain mais pour aujourd’hui. Aux États-Unis, Verizon exploite le premier réseau commercial depuis début octobre. Contrairement à la 4G, qui permettait surtout aux usagers de smartphones de charger plus vite leurs vidéos de chats en HD, la 5G sera le système veineux du monde numérisé, quand les objects connectés en seront les différents organes. Un réseau très B2B en fait. C’est en cela qu’on ne dissocie plus le digital du monde physique, et que l’Idate DigiWorld aime à parler de phygital. Que le terme se pérennise ou pas, peu importe finalement : il décrit la communion du numérique et du monde physique. Quand des chirurgiens, comme l’illustre Jacques Moulin, pourront ainsi réaliser des opérations complexes à l’autre bout du globe car la latence de la 5G sera si basse qu’elle garantira le niveau de sécurité suffisant. C’est aussi la possibilité pour des drones d’effectuer un travail de maintenance de réseaux. La 5G est aussi centrale pour le développement des véhicules autonomes. Santé, mobilité, distribution, énergie, sécurité, commerce… bref l’ensemble des secteurs de l’économie, seront irrigués à la 5G. D’où l’importance, pour le think tank, de se doter des infrastructures adéquates… « ASAP » ! Mais que disent les chiffres ?
Effort européen
Dans son Panorama de l’économie que le think tank dresse avec son DigiWorld YearBook 2019, dévoilé pour l’occasion, est constaté un «resserrement des écarts de dynamique entre Europe et reste du monde ». Les investissements ont progressé de 3,8% en Europe à 815 milliards d’euros, contre une hausse de 5,3% à 983 milliards en Asie-Pacifique, et un mieux de 4,2% à 1 253 milliard en Amérique du Nord. Malgré tout, le think tank voit que cette dynamique est « en retrait sensible par rapport à la croissance de l’économie dans son ensemble »et qu’après « un brusque ralentissement en 2014, la dynamique en valeur des services des TIC a bien du mal à accélérer ». Du côté des opérateurs télécoms, les dépenses ont dépassé la barre des 300 milliards d’euros en 2017, en hausse de plus de 5 % par an au cours des cinq dernières années, soit sensiblement plus que le rythme de croissance de leurs revenus (aux alentours de 1 % par an en moyenne). Pour les experts de l’Idate, « l’effort est de plus en plus lourd pour les opérateurs et les besoins encore conséquents : déploiements THD en cours dans la plupart des régions du monde, émergence de la 5G… Le ratio CapEx/chiffre d’affaires est ainsi passé de 12,5% en 2010 aux alentours de 17,5% aujourd’hui en moyenne dans les cinq principaux marchés européens ». Parmi les facteurs drivant l’investissement, on trouve aussi tout simplement la réglementation. Exemple : l’obligation pour tout nouveau véhicule immatriculé depuis avril d’embarquer le système d’appel d’urgence eCall.
Cap sur l’Afrique
Pour accompagner ces mutations et accentuer la portée de son action, l’Idate, dont la tagline est « Enlighten your digital future » depuis plus d’un an, renforce sa position de think tank de l’économie digitale. Parmi ses chantiers : une plus grande ouverture aux secteurs avec de plus en plus de membres (80 à date avec un objectif de 100 membres) dans les services et l’industrie, une volonté d’accueillir plus de start-up et une ouverture des clubs mensuels à Paris, Londres, Bruxelles aux filières métiers et, autre nouveauté, le lancement d’un club à Rabat au Maroc en décembre. Après son premier Summit en Afrique, le DigiWorld4Africa, le think tank compte se renforcer sur le continent. Avant d’attaquer la Silicon Valley !
➡️ C’est parti pour la FlashInterview de Jacques Moulin, directeur général de l’Idate DigiWorld, réalisée le 28 novembre 2018 au 40e Summit à la Maison de la Mutualité à Paris, par Emmanuelle Leneuf pour le FlashTweet.
1️⃣FlashTweet : Jacques Moulin, pouvez-vous vous présenter et nous expliquer pourquoi la 40e édition de l’Idate DigiWorld se déroule à Paris ?
Jacques Moulin : Bonjour FlashTweet. Nous avons décidé de faire la 40e édition du Summit de l’Idate DigiWorld à Paris pour consacrer notre dimension internationale. Nous sommes en effet un think tank leader européen, mais nous nous ouvrons à l’ensemble du monde. Nous avons d’ailleurs mis en place une succursale au Maroc. Nous avons la joie d’avoir un panel d’intervenants qui proviennent d’environnements très différents, d’horizons très différents, du continents américain, mais aussi bien sûr du continent européen. Nous n’abandonnons pas pour autant notre ancrage territorial car nous allons organiser au mois d’avril notre spring session à Montpellier, et enfin, notre DigiWorld4Africa qui se tiendra au Maroc au mois de septembre. C’est un élément très important pour nous que d’être à Paris car cela nous permet d’avoir un rayonnement encore plus fort, d’avoir notamment des key speakers qui, pour des raisons peut-être aussi un peu pratiques, ne seraient pas venus spontanément à Montpellier. Enfin, élément très important pour nous, c’est que ce DigiWorld Summit, qui est consacré au phygital, nécessitait d’avoir des intervenants venant de tous les secteurs : des télécoms mais aussi de l’industrie, mais aussi des services, et de tous les continents, et c’est chose faite.
2️⃣ FT : Pourquoi avoir choisi le phygital comme thème central cette année ?
JM : Le phygital n’est plus une option dans notre société. C’est un phénomène incontournable, il n’est pas l’apanage d’un continent, ni d’un secteur ou d’une filière. Il impacte la totalité des champs de la société, l’économique, le politique, le social, le culturel, bref, le sociétal. Alors le phygital est paradoxe : il est à la fois équilibre et déséquilibre, et il nous permet soit d’être véritablement des architectes qui allons créer la société de demain, soit au contraire d’être d’être des dominions qui vont subir des décisions qui seront prises par d’autres. Quelques exemples très pratiques : le phygital abolit les frontières physiques, ça c’est un fait incontestable, on le voit dans l’e-santé puisqu’il permet de faire des opérations à distance, c’est donc un progrès. Mais en même temps, puisqu’il abolit les frontières physiques, est-ce qu’il ne remet pas en cause la notion de souveraineté, souveraineté des États ? On considère d’ailleurs que les frontières sont parfois des sommes de lignes Maginot. Autre paradoxe : le phygital permet avec l’IA et avec les objets interconnectés, d’apporter une réponse plus adaptée au consommateur. Et en même temps, il suppose donc la détention de datas d’information intimes, mais aussi des problématiques qui sont d’ordre beaucoup plus éthique. Enfin, le phygital permet dans l’indutrie une véritable révolution. On voit apparaître des chaînes de production qui sont ce que l’on appelle des twins digitaux qui permettent donc de faire en digital ce qui sera ensuite reproduit en physique. Cela rend les entreprises plus agiles, cela rend les entreprises aussi beaucoup plus en automatisation de process, et donc de qualité. Mais en même temps ça suppose qu’il y ait une capacité d’adaptation des hommes et des femmes, des femmes qui d’ailleurs sont trop souvent exclues du digital. Ce sujet est donc une question de gestion de la transition, mais aussi de gestion éthique.
3️⃣ FT : L’impact de la 5G est au coeur du YearBook qu’Idate DigiWorld dévoilé aujourd’hui. Pouvez-vous nous détailler les enjeux par secteur ?
JM : En effet, la 5G est la technologie de rupture, et c’est une technologie qui n’est pas seulement un sujet propre aux opérateurs en télécommunications. Bien sûr à l’origine, on va parler telco, mais elle impacte la totalité de l’industrie, et d’ailleurs, c’est quelque chose qu’il faut véritablement avoir en tête : la 5G n’est pas juste une continuité linéaire de la 2G, de la 3G, de la 4G. Elle va provoquer une vraie révolution, un vrai momentum, qui va permettre de revisiter des paradigmes de l’industrie. Je prendrai juste quelques exemples. la 5G est en effet cruciale notamment dans la voiture autonome. On le sait, il va y avoir une explosion de ce marché, nous en sommes encore à des voitures qui sont plutôt connectées, mais très prochainement, comme cela se passe aux États-Unis, ou comme c’est aussi le cas en Chine, la voiture autonome va représenter un véritable marché. Cela suppose de se doter d’infrastructures 5G – on dit d’ailleurs 5G+ – c’est-à-dire, une 5G qui va devoir balisée le territoire tous les 100 à 200 mètres. Idem, la 5G va, couplée à l’intelligence artificielle et couplée à la robotique, revoir complètement la logique des chaînes de production. Nous allons donc passer dans un monde qui va être un monde où on cumulera à la fois le phygital dont nous avons parler au cours de notre Summit, et à la fois bien sûr des ambitions d’adresser des consommateurs et des marchés très différents. C’est un élément fort, que parfois les gouvernements ont du mal à intégrer, appréhendant la 5G sous sont angle techno et non pas sur ce qu’elle va avoir de révolutionnaire. Comme par exemple dans l’e-santé, puisque grâce à un niveau de latence très limitée, eh bien il sera possible d’opérer à distance, de faire des opérations très précises, des opérations très délicates, et à des kilomètres et des kilomètres entre le praticien et le patient.
4️⃣ FT : L’IA et le jeu vidéo sont les deux autres tendances clés pour 2019. Quels sont les scénarios du futur selon l’Idate DigiWorld ?
JM : Le jeu vidéo est en pleine expansion, et il va devenir la première industrie créative et culturelle. En effet, depuis 10 ans, le chiffre d’affaires au niveau mondial a été multiplié par 2,5 fois. Il est à 94 milliards d’euros en 2018. Il sera à près de 135 milliards à 2022. Il y a une très très forte prédominance de l’Asie, mais ce que l’on peut noter, c’est que les investissements sont désormais des investissements lourds, et qu’il vont profondément modifier l’ensemble du monde des contenus. L’intelligence artificielle n’est finalement pas forcément une si nouvelle technologie que cela, mais elle est restée un petit peut sous les radars. C’est vrai que l’on constate des gros investissements, qui sont réalisés parce qu’ils permettent notamment de s’adapter à des secteurs tout à fait différents et hétérogènes. On le sait, l’IA permet d’apporter une proposition de valeur plus importante au consommateur. Mais elle permet aussi d’assurer des dimensions dans le cadre de la sécurité. Sécurité des États, sécurité des frontières… notamment, l’utilisation de drones qui permettent aussi de faire des photographies et des vidéos, couplées à l’IA, vont permettre d’opérer des actions de maintenance qui jusqu’à présent pouvaient être réalisées par des capteurs, mais avec un niveau d’investissement plus fort, et aussi avec un niveau de qualité inférieur. Donc l’intelligence artificielle est sans aucun doute une des technologies clés, d’ailleurs nous prédisons qu’elle sera la technologie clé en 2025, dans notre DigiWorld YearBook, qui va placer cette nouvelle technologie au centre de notre révolution digitale et de notre révolution phygitale.
5️⃣ L’Idate, fondateur de l’Idate DigiWorld, est un think tank en pleine transformation, qui vise l’international. Quels sont les chantiers de 2019 ?
JM : En 2019, nous allons continuer la transformation profonde de l’Idate DigiWorld et de sa communauté, que nous avons impulsée depuis un an et demi avec François Barrault [président de l’Idate DigiWorld]. Le premier de nos axes va être l’augmentation du nombre de nos membres. Nous sommes aujourd’hui à 80 membres, représentant les différents secteurs de l’économie numérique, et aussi des start-up. Et c’est tout particulièrement aux start-up que nous allons nous intéresser, puisque nous estimons que ces hommes et ces femmes qui se lancent parfois dans des projets assez fous, nous permettent de véritablement apporter une plus-value au sein de notre communauté Idate DigiWorld. J’en appelle d’ailleurs à tous ceux qui voudraient nous rejoindre pour nous apporter leur feu et leur vocation d’innovation. Le deuxième élément important dans notre stratégie va être l’expansion à l’international. Nous sommes un think tank, leader européen, mais dès 2018, nous avons créé notre première succursale en Afrique, au Maroc, afin de créer un Hub qui s’intéressera à ce qu’il se passe dans le monde du digital sur le continent africain. Avec cette démographie galopante, on sait que les chaînes d’innovation sont en train de se mettre en oeuvre, et qu’il est important pour nos membres d’être informés sur le devenir du digital en Afrique. Troisième évolution, la Silicon Valley. C’est essentiel pour un think tank comme le nôtre d’avoir une base qui permette de comprendre quelles sont les grandes évolutions que connaissent les géants de l’internet, mais aussi l’ensemble de l’industrie. Et enfin, en 2019, nous allons préparer notre coopération au pavillon français lors de l’Exposition universelle Dubai 2020. Vous voyez, tous ces projets ont pour vocation de mettre véritablement en oeuvre notre moto, éclairer votre futur digital.
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